Zéro Deux # 108 | Jonathan Binet at Balice Hertling

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It is rare to see such an outstanding evolution in painting as that of Jonathan Binet. As a contemporary spin-off of Leon Battista Alberti famous interpretation of paintings as windows (1), the exhibition space at Balice Hertling reveals itself punctured by a multitude of openings looking onto abstract subjects. The paintings appear as solid anchors, containing explosive energies within their metal frames.

Binet’s prior work was deeply focused on the format, the size and composition of the frame, exploring its presence and absence through experimentation, repetition and reduction. In “une rose est une rose est une rose” this research seems obsolete, considering the prominent uniformity of the frames within the show – all measuring 134 x 98 cm (incidentally a standard size for Velux windows), are made of aluminum, with a rectangular shape thicker on the lower side base. The American architect John Hejduk would call such process an “exorcism”, where he would rid his work of external influences to the point of assimilating them to his own manner. Binet seems to do just that, liberating his frames in this series of outer references, and thus allowing for a fresh perspective on his work. Opting for a consistent, classic hanging method, he provides the viewer a visual rest, a well calculated and predictable experience, rhymed by the content within the frame rather than its form. 

“une rose est une rose est une rose” is conceived as a continuation of Binet’s pictorial investigation into the conceptuality of the surface and its malleable flatness. Here, the paint gains depth, redefining the spatiality of the canvas. His adept manipulation of paint allows for an infinite layering of surfaces. His gesture fluctuates between adding (layers of paint, canvas pieces) and subtracting (removing layers of paint, canvas pieces). On some paintings he doubles the canvas – as seen in “No References” where a piece of canvas is affixed to a white, stretched canvas, while others “Focus” or “Untitled” are cut up, with entire corners missing. In “Pas d’chichi”  the canvas is detached from its frame, floating, suspended only from the top and left edges. And then, comes the in-between: the paintings that bear both contrasting gestures within one surface, resulting in ripped canvases that remain attached around the entire perimeter of the frame. Some revealing Fontana-like slits as in the downstairs “Untitled” series, others expose peeking eye-like holes (“Cinderella’s Big Score”, “Untitled”) – the outcome of Binet’s intense handling of a sanding machine to scrape off paint from the surface. It is perhaps through this counter intuitive choice of tools that perspires the tension of his gesture, which must be both damaging and delicate to take effect.

The works are spread within the space in a calculated manner and in deliberate groups which guide the visitors across areas with more or less of the above-mentioned tension. Each painting emits a particular frequency defined by its surface, palette, and solidity, bringing the viewer into a state of seeing. The scenographic rhythm amplifies the various dispositions one might adopt when looking at the works. Entirely abstract, it is precisely through the full apprehension of their abstraction that the paintings transcend any projected figurative elements that might define them, and instead, plainly exist. They surpass the human inclination to impose visual interpretations. They are thus not what someone sees, and instead, simply are. A rose is a rose is a rose (2).

This simplicity permits a unique interpretation of the works, which bears no compulsion, nor precision. One can choose to see a landscape in “Pas d’chichi” or a figure in “No References”, without questioning the real purpose of the artist. In the same way, one can choose to find allusions to other artists — Jean-Pierre Pincemin’s “Palissades”, for instance, in the emerging grids of “Focus”, “Pas d’chichi”, “D”, “Untitled” ; or John Baldessari’s circles in the downstairs “Untitled” series ; or perhaps Mel Bochner’s “Measurement Rooms” in the pink line the artist traced along the gallery’s downstairs perimeter – all without assuming these were intentional references by Binet.

Jonathan Binet’s latest works show a remarkable completeness of subject and form. The use of pink, black and white adds an extra dimension to the aptly chosen title, which itself provides a key to understanding the exhibition.

Article published on Jonathan Binet at Balice Hertling gallery | Zérodeux / 02 (zerodeux.fr)

FR

Une évolution de la peinture aussi marquante que celle de Jonathan Binet est rare. Comme une déclinaison contemporaine de la fameuse interprétation de Leon Battista Alberti de la peinture comme fenêtre (1), l’espace d’exposition de Balice Hertling se révèle percé d’une multitude d’ouvertures, toutes donnant sur des sujets abstraits. Les tableaux apparaissent comme des ancrages solides, renfermant dans leurs cadres métalliques des énergies explosives.

Dans le passé, Jonathan Binet a beaucoup axé son travail sur le format, la taille et la composition du cadre, explorant sa présence et son absence par le biais de l’expérimentation, de la répétition et de la réduction. Dans « une rose est une rose est une rose », cette recherche semble obsolète, compte tenu de la grande uniformité des cadres exposés – tous mesurant 134 x 98 cm (par ailleurs un des formats standard pour les fenêtres Velux), chacun étant composé d’aluminium et ayant une forme rectangulaire, plus épaisse sur la base du côté inférieur. L’architecte américain John Hejduk qualifierait ce processus d' »exorcisme », c’est-à-dire de débarrasser le travail des influences extérieures au point de les assimiler à sa propre manière. C’est exactement ce que semble faire Binet : il libère ses cadres de toute référence extérieure, du moins dans cette série, ce qui lui permet de proposer un regard neuf sur son travail. En optant pour une méthode d’accrochage classique et cohérente, il offre au spectateur un repos visuel et une expérience bien calculée et prévisible, rythmée par le contenu du cadre plutôt que par sa forme. 

« une rose est une rose est une rose » est ainsi conçue comme une continuation de l’investigation picturale de Binet sur la conceptualité et la malléabilité de la surface. Ici, la peinture gagne en profondeur, redéfinissant la spatialité de la toile. La manipulation habile de la peinture par l’artiste permet une superposition infinie de surfaces. Son geste oscille entre l’ajout (des couches de peinture, des morceaux de toile) et la soustraction (le retrait des couches de peinture et des morceaux de toile). Dans certains tableaux, il va jusqu’à doubler la toile – comme dans « No References » où un morceau de toile est apposé sur une toile blanche tendue, tandis que d’autres, « Focus » ou « Untitled », sont découpés, enlevant des bouts entiers des coins. Dans « Pas d’chichi », la toile est détachée de son cadre, flottante, suspendue uniquement aux bords supérieur et gauche. Et puis, il y a l’entre-deux : les peintures qui portent les deux gestes contrastés sur une seule surface. Il en résulte alors des toiles déchirées mais qui restent attachées sur tout le périmètre du cadre. Certaines révèlent des fentes à la Fontana, comme dans la série « Untitled », d’autres exposent des trous ressemblant à des yeux (« Cinderella’s Big Score », « Sans titre »), conséquence de la manipulation intense d’une ponceuse pour gratter la peinture de la surface. C’est peut-être par ce choix contre-intuitif des outils que transparaît la tension de son geste, qui doit être à la fois néfaste et délicat pour produire son effet.

Dans l’espace, les œuvres sont réparties de manière calculée, en groupes délibérés, qui guident les visiteurs à travers des zones présentant plus ou moins de cette tension susmentionnée. Chaque tableau émet une fréquence particulière définie par sa surface, sa palette et sa solidité, qui met le spectateur dans un état de visionnage. Le rythme scénographique amplifie lui-aussi les différentes dispositions que l’on peut adopter face aux œuvres. Entièrement abstraites, c’est précisément par la pleine appréhension de leur abstraction que les peintures transcendent tout élément figuratif projeté qui pourrait les définir, et qui, au lieu de cela, tout simplement, existent. Elles dépassent la tendance humaine à imposer des interprétations visuelles en cessant d’être ce que l’on voit, pour ensuite juste, être. Une rose est une rose est une rose (2).

Cette simplicité permet une interprétation unique des œuvres, sans contrainte ni précision. On pourrait, par exemple, choisir de voir un paysage dans « Pas d’chichi » ou une figure dans « Pas de références », sans s’interroger sur le but réel de l’artiste. De la même manière, on pourrait choisir de trouver des allusions à d’autres artistes – les « Palissades » de Jean-Pierre Pincemin, par exemple, dans les grilles émergentes de « Focus », « Pas d’chichi », « D », « Untitled » ; ou les cercles de John Baldessari dans la série « Untitled » au sous-sol ; voire les « Measurement Rooms » de Mel Bochner dans la ligne rose que l’artiste a tracée le long du périmètre du sous-sol de la galerie – sans pour autant supposer qu’il s’agit là de références intentionnelles de la part de Binet.

Les dernières œuvres de Jonathan Binet présentent une remarquable complétude de sujet et de forme. L’utilisation du rose, du noir et du blanc ajoute une dimension supplémentaire au titre judicieusement choisi, qui fournit lui-même une clé pour comprendre l’exposition.

(1) Leon Battista Alberti: On Painting, Cambridge University Press, 2011
(2) Gertrude Stein, Sacred Emily, 1913

Article publié sur https://www.zerodeux.fr/reviews/jonathan-binet-a-la-galerie-balice-herting/

Info+

– publication text – 

“une rose est une rose est une rose” de Jonathan Binet
à la galerie Balice Hertling
2 février – 9 mars 2024

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