Zéro Deux # 105 | Jota Mombaça at CCA Berlin
EN
Upon entering the exhibition space of the newly established CCA Berlin Center for Contemporary Arts, the visitor finds oneself instantaneously transported to an entirely distinct dimension. The hues filtering through the windows transfigure both inner and outer worlds into an apocalyptic backdrop. Has the sky been veiled by an excessive shroud of smoke? Is something ablaze on the horizon? From a corner, a soundtrack emerges, aligning with a video work featuring still shots of dreamlike air-, sea- and land-scapes. Jota Mombaça, a poet who molds words, emotions, objects, and imagery, resonates with a speech that unfolds like poetry: “Will the nation wait until the last morning?” But – is it a “morning” or a somber “mourning”? “The flood must go on,” it continues.
Jota Mombaça’s exhibition, “A Certain Death/Swamp,” despite exuding an exceptionally militant character, nonetheless refrains from immediately imposing a cerebral intellectual message upon the viewer. Instead, it immerses the observer, much like one being enveloped by a nurturing swamp, offering symbolic fragments that gradually assemble into a profound puzzle. Drawn initially by a burning atmosphere, one eventually becomes grounded in the humid and earthy elements encircling the exhibition space – soil, clay vessels, a mud painting.
As if unearthed from the very depths of the Earth, these relics, offerings from Gaia herself, firmly tether us to the present moment. Earth, embodying both mother and fertile humus, encapsulates the essence of Gaia. In contemporary terms, she assumes the role of an overarching maternal figure. Yet, within the ancient Greek tradition, Gaia was both a creator and a destroyer, a figure embodying boundless love and unyielding rejection. Gaia eludes facile classification as solely benevolent or malevolent; she is the embodiment of life.
Within Mombaça’s narrative, life emerges as one of the central themes, both as existence and possession. She speaks of life stolen, of displacement from one soil to another, from one Earth to another. Further adjacent subject matters, the passing of time and the holding on to memories serve as invisible links between human tragedies reoccurring in altered contexts. She creates a metaphorical bridge over the Atlantic Ocean, uniting the suffering of the displaced enslaved African people brought against their will to the Americas and the deadly and desperate crossings of the Mediterranean Sea by today’s free people of Africa. In fact, she speaks of the Human Tragedy. As a profound creative concept, Mombaça cedes the artistic gesture to the Earth itself, as to articulate its memoir, crafting a mud painting by submerging the canvas in the very essence of mud.
Much like the intricate network of mycelium concealed beneath our feet, Mombaça’s work weaves a complex web connecting concepts, ideas, locations, cultures, traditions, races, and individuals, across time periods and topographies. She delves into the themes of apocalypse and mourning, exploring both past and future notions of death caused by the capitalistic behemoth. In a form of pragmatic optimism, her work acknowledges the formidable challenge of altering established political and economic structures. Shifting one’s trajectory, like a colossal machine, demands immense strength. Mombaça’s art invests faith in two of the most enduring and just forces in the cosmos: nature and time. Much like the mud painting, the clay sculptures showcased in the exhibition were crafted by submerging the pieces in nearby bodies of water, permitting time and nature to imprint their marks – subtle cracks, erosions, remnants of mud, and occasionally even coins.
In today’s increasingly activist artistic landscape, Mombaça distinguishes herself through the exceptional mastery of the visual and plastic qualities of her artworks, paying special attention to the formal aesthetics of both – the pieces on their own and the exhibition as a whole. Works cease to be mere conduits for conveying messages. This distinctive quality lends her exhibition an equally important character as that of the undoubtedly crucial message, making it thus a self-existing entity, impressing with its eloquent force.
Article published on Jota Mombaça at CCA Berlin | Zérodeux / 02 (zerodeux.fr)
FR
En passant la porte de la nouvelle institution berlinoise CCA Berlin Center for Contemporary Arts, le visiteur se trouve instantanément transporté dans une autre dimension. Les teintes couvrant les fenêtres transforment l’espace intérieur, tout comme celui de dehors en un panorama apocalyptique. Serait-ce le ciel voilé par une épaisse couche de fumée ? Voit-on quelque chose brûler à l’horizon ? Dans un coin, une bande sonore émerge, s’alignant sur une œuvre vidéo présentant des plans fixes de paysages aériens, marins et terrestres oniriques. Jota Mombaça, une poétesse qui mêle mots, émotions, objets et images, fait résonner un discours qui se déroule comme une poésie : “Will the nation wait until the last morning? » Mais s’agit-il d’un “morning » comme matin ou d’un sombre “mourning” comme « deuil » ? « The flood must go on », poursuit-elle.
L’exposition de Jota Mombaça, « A Certain Death/Swamp », malgré son caractère exceptionnellement militant, s’abstient néanmoins d’imposer aussitôt un message cérébral au spectateur. Au contraire, elle immerge l’observateur, comme s’il était enveloppé par un nourricier marécage, en lui offrant des fragments symboliques qui s’assemblent progressivement en un puzzle complexe. Et si le spectateur est d’abord attiré par cette atmosphère brûlante, il finit par s’ancrer dans des éléments humides et terreux qui entourent l’espace d’exposition – de la terre, des récipients en argile, une toile peinte à la boue.
Comme déterrées des profondeurs de la Terre, ces reliques, offrandes de Gaïa elle-même, nous rattachent fermement au moment présent. La Terre, qui incarne à la fois la mère et l’humus fertile, résume l’essence de Gaïa. En termes contemporains, elle assume le rôle d’une figure maternelle primordiale. Pourtant, dans la tradition grecque antique, Gaïa était à la fois créatrice et destructrice, une figure incarnant l’amour inconditionnel et un rejet implacable. Gaïa échappe à toute classification simple comme étant uniquement bienveillante ou malveillante ; elle est l’incarnation de la vie-même.
Dans le récit de Mombaça, la vie apparaît comme l’un des thèmes centraux, à la fois comme existence et comme possession. Elle parle de vies volées, de déplacement d’un sol à un autre, d’une Terre à une autre. D’autres sujets adjacents, le passage du temps et la conservation des souvenirs, servent de liens invisibles entre des tragédies humaines qui se répètent, bien que dans des contextes différents. Elle crée un pont métaphorique au-dessus de l’océan Atlantique, unissant la souffrance des africains réduits à l’esclavage, déplacés et amenés contre leur gré aux Amériques, et les traversées mortelles et désespérées de la mer Méditerranée par les Africains libres d’aujourd’hui. De fait, elle parle de la tragédie humaine. Comme pour articuler les mémoires de la Terre, en traductrice presque, Jota Mombaça lui cède le geste artistique, en créant une œuvre peinte à la boue en submergeant la toile dans l’essence même de la boue.
À l’instar du réseau complexe de mycélium dissimulé sous nos pieds, le travail de Mombaça tisse une toile complexe reliant des concepts, des idées, des lieux, des cultures, des traditions, des races et des individus, à travers les époques et les topographies. Elle approfondit les thèmes de l’apocalypse et du deuil, en explorant les notions passées et futures de la mort causée par le colosse capitaliste. Dans une forme d’optimisme pragmatique, son travail reconnaît le formidable défi que représente une modification des structures politiques et économiques établies. Changer sa trajectoire, comme une machine titanesque, exige une force immense. L’art de Mombaça investit deux des forces du cosmos les plus durables et les plus justes : la nature et le temps. À l’instar de la peinture à la boue, les sculptures en argile présentées dans l’exposition ont été réalisées en étant immergées dans les eaux proches, permettant ainsi au temps et à la nature d’imprimer leurs marques : de subtiles fissures, des érosions, des restes de boue et parfois même des pièces de monnaie.
Dans le paysage artistique actuel, de plus en plus activiste, Mombaça se distingue par la maîtrise exceptionnelle des qualités visuelles et plastiques de ses œuvres d’art, en accordant une attention particulière à l’esthétique formelle des deux – les pièces en tant que telles et l’exposition dans son ensemble. Les œuvres cessent d’être de simples vecteurs de messages. Cette qualité distinctive confère à son exposition un caractère tout aussi important que celui du message, indubitablement crucial, faisant d’elle une entité autonome qui nous impressionne par sa force d’éloquence.
Article published on Jota Mombaça au CCA Berlin | Zérodeux / 02 (zerodeux.fr)
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– publication text –
Jota Mombaça, A CERTAIN DEATH/THE SWAMP,
à CCA Berlin, Center for Contemporary Arts
Curateur: Edwin Nasr
14 Sep – 2 Dec 2023